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La Revue dans les deux Mondes

Philippe de Massa

110 pages
Librairie Léopold Cerf - 1905 - France
Pièce de thêatre

Intérêt: *

 

 



Cette curieuse œuvre est une « revue » composée pour le Cercle de l’Union artistique par son vice-président, le marquis Philippe de Massa (1831-1910). Autrement dit, un petit spectacle théâtral entrecoupé de chansons, destiné à un cercle d’initiés et présenté lors d’une occasion particulière (un peu comme Le Rêve de d’Artagnan écrit pour la réunion annuelle d’une association d’escrimeurs). Cette revue a été donnée à deux reprises à Paris au théâtre du Cercle de l’Union artistique les 6 et 8 juin 1905. Elle a ensuite fait l’objet d’une édition à tirage très réduit de 150 exemplaires.

Le titre de l’œuvre, La Revue dans les deux Mondes, joue évidemment avec celui de la prestigieuse Revue des deux Mondes créée en 1829. Il est justifié par le fait que la pièce comprend deux actes dont le premier se passe dans « l’autre monde », celui des défunts, et le second dans notre monde à nous, celui des mortels.

Le premier acte se déroule donc aux Champs-Elysées où se retrouvent les morts, qui passent apparemment leur temps à bavarder. On y voit d’abord Louis XIV évoquer le bon vieux temps avec Molière et Louise de La Vallière. La conversation avec Molière permet de commenter l’évolution du théâtre contemporain du début du XXème siècle, les défunts se tenant très informés de ce que devient le monde des vivants. Louis XIV discute ensuite avec Voltaire puis l’irrésistible courtisane Ninon de Lenclos.

La sixième scène voit arriver d’Artagnan, suivi des trois autres mousquetaires. Le roi les passe en revue, prend de leurs nouvelles… (voir extrait ci-dessous). Un peu plus tard survient Napoléon qui inspecte ses grenadiers. La rencontre entre les deux ex souverains est un peu électrique, on s’en doute, Louis XIV ne voyant l’empereur que comme un usurpateur. On frôle l’affrontement entre mousquetaires et grenadiers, chaque petite troupe voulant défendre son souverain. Heureusement, Ninon de Lenclos calme tout le monde en rappelant le point commun entre les deux grands hommes: « l’amour et la grandeur de la France! ».

Arrivent des nouvelles du monde d’en-bas (le nôtre): on y prépare une grande revue à laquelle il manque deux acteurs, un homme d’infiniment d’esprit et une femme idéalement belle: l’assemblée des défunts décide d’envoyer Voltaire et Ninon pour jouer ces deux rôles. Le second acte est consacré à cette revue terrestre qui se passe dans le Cercle de l’Union artistique et consiste essentiellement en clins d’œil à usage interne. D’Artagnan et les mousquetaires n’y apparaissent plus.


Bien écrit, sur un ton léger et enlevé (sauf pour les nombreux passages où le lecteur contemporain ne dispose pas des clés de compréhension), la revue devait constituer un spectacle réjouissant. Conformément aux règles, la pièce comporte de multiples parties chantées utilisant des airs à la mode. Les quatre mousquetaires y jouent un rôle relativement secondaire. On constate que d’Artagnan sert toujours Louis XIV avec autant de ferveur après sa mort que de son vivant. L’idée d’un affrontement entre mousquetaires du Grand Roi et grognards de l’Empereur est également assez amusante.

Une autre singularité de ce texte tient à la personnalité de son auteur. Et plus précisément au fait que le marquis de Massa était surnommé « Aramis ». Selon les recherches effectuées par Mihai-Bogdan Ciuca, une notice nécrologique de Massa, qui composait des divertissements théâtraux pour la Cour de Napoléon III, a été publiée par le New York Times le 25 octobre 1910. Le quotidien américain y souligne que les amis de Massa l’appelaient Aramis « en raison de son allure militaire et de sa ressemblance avec ce personnage des 'Trois mousquetaires' de Dumas ». La biographie de la comtesse Greffulhe écrite par Laure Hillerin (La comtesse Greffulhe : l'ombre des Guermantes, Flammarion, 2014) parle de Massa. Le marquis, qui portait une barbiche en pointe, ce qui évoque l’imagerie traditionnelle des mousquetaires, était « l'un des plus spirituels adorateurs » de la comtesse et un infatigable séducteur. « Il mérite (donc) bien le surnom d'Aramis que lui ont décerné ses amis », note Laure Hillerin.

Personnalités des plus intéressantes, la comtesse Greffulhe a inspiré Proust pour la duchesse de Guermantes de A la recherche du temps perdu. Détail curieux: elle descendait par sa mère de la famille des Montesquiou (celle de la mère de d’Artagnan) et était cousine de Robert de Montesquiou avec qui elle était très liée. Autrement dit, fait remarquer Mihai-Bogdan Ciuca, le marquis de Massa présente une triple singularité « dumasienne »: avoir été surnommé « Aramis », être tombé amoureux d’une descendante de la mère de d’Artagnan et avoir écrit un pastiche des Trois mousquetaires!
Merci à Mihai-Bogdan Ciuca de m’avoir fourni ce texte.

Extrait des scènes VI et VII

D'ARTAGNAN, saluant.
Sire…

LE ROI.
Ah! C'est vous, d'Artagnan.

D'ARTAGNAN.
Oui Sire, un des trois mousquetaires.

NINON.
Deux cent cinquante ans après! 

D'ARTAGNAN.
Il est vrai, mais je n'en ai pas moins ma fiche posthume au Grand-Orient, comme les camarades :

D'Artagnan, cadet de Gascogne,
Contemporain de Cyrano,
Un royaliste sans vergogne
Qui tapait sur le populo.
Assez de ces reîtres à poigne,
Et conspuons jusque là-haut
D'Artagnan, cadet de Gascogne,
Contemporain de Cyrano.

La voilà ma fiche.
 
LE ROI.
Elle est tout à votre honneur. Mais je ne vois pas vos camarades...

D’ARTAGNAN.
Ils sont de garde avec moi, et si Votre Majesté veut les passer en revue...

LE ROI.
Avec plaisir... en présence de Madame.

NINON.
Je suis de plus en plus confuse.

(D'Artagnan est allé au fond du théâtre et se place en tête de la colonne formée par les trois Mousquetaires qui entrent et défilent sur l'air des Mousquetaires de la Petite Bohême.)
 
LE ROI.
Rappelez-moi vos noms, Messieurs!

ATHOS.
Athos... Autrement dit le Comte de La Fère.

LE ROI. Je sais. Vous avez eu un fils de la duchesse de Chevreuse.

ATHOS.
Oui, Sire... Le vicomte de Bragelonne.

LE ROI.
Charmant jeune homme.

PORTHOS, se nommant.
Porthos, autrement dit le baron du Valon, de Bracieux, de Pierrefonds.

LE ROI.
Je sais, une fine lame. Pas d'enfants?

PORTHOS.
Pardon Sire, un peu partout... en garnison... avec des bourgeoises.

ARAMIS, se nommant.
Aramis, autrement dit le chevalier d'Herblay.

LE ROI.
Je sais... Entré dans les ordres. Belle allure, Messieurs, belle allure! Cependant un dernier mot. Pourquoi dit-on toujours : les trois mousquetaires, puisque vous étiez quatre?

PORTHOS.
C'est parce que chacun de nous en valait trois, Sire.

LE ROI.
C'est juste. Demeurez, Messieurs, pour faire honneur à notre personne et vous, d'Artagnan, dites-nous maintenant ce qu'il y a pour mon service.

D'ARTAGNAN.
Sire, c'est une lettre
Qu'en vos royales mains on m'a dit de remettre.

LE ROI.
De la part de qui?

D'ARTAGNAN.
De la part de la marquise de Sévigné I

LE ROI.
Une lettre de la grande épistolière, c'est toujours un régal de gourmet. Lisez- nous cela, belle Ninon...

NINON.
Encore un pareil honneur à moi...

AIR DE « La Lettre à Métella »
Veuillez m'excuser, Sire
Si mon besoin d'écrire
Cherche en tous lieux un nouvel aliment,
Mais grâce à l'ordinaire
Qui nous vient de la terre
Par Ariel je me tiens au courant.
La France hélas ! bat partout la campagne
Depuis qu'elle a banni la Royauté,
Excepté dans notre chère Bretagne
Où votre règne est toujours regretté.
Trente ans de République
Ont coûté sans réplique
Cent fois plus cher que Votre Majesté
Et le peuple qu'on leurre
Fournit l'assiette au beurre
Sans que lui-même en ait jamais goûté.
Un parlement, que la haine dévore,
Est devenu l'unique souverain,
Et plût à Dieu, que vous puissiez encore
Y pénétrer votre fouet à la main !
L'adultère au théâtre,
Au public idolâtre,
Est tous les jours allègrement prôné,
Mais je n'ose en médire,
Car l'adultère, Sire,
Ce n'est pas ce qui vous aura gêné !
Sans renier pourtant toutes vos gloires,
Paris, du moins, fait preuve de bon goût
Car il parait que Place des Victoires,
Votre statue est encore debout.
Daignez m'excuser, Sire,
Si le besoin d'écrire
Survit encor dans mon ombre imprégné,
Mais cette ombre immortelle
Est celle qui s'appelle
La Marquise de Sévigné!

LE ROI.
Voilà qui est fort bien dit. N'est-il pas vrai, Madame ?

NINON. Assurément, Sire... Il y a bien à propos de l'adultère une légère allusion à vos enfants naturels.

LE ROI.
Ça n'a aucune importance, puisque je les ai légitimés (Musique à l'orchestre).

 


 

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